Narcisse, Isadora Duncan (vers 1905, transmission d’Elisabeth Schwartz à François Chaignaud, 2015)
Narcisse, créé vers 1905, est dédié au personnage mythologique et à la nature qui l’a ensorcelé : l’eau dans laquelle son image s’est reflétée. C’est une valse de Chopin qui est choisie pour ce solo et le rythme de la danse combine celui de la partition musicale et celui naturel de la respiration.
Considérée comme la « Mère de la danse moderne », Isadora Duncan est à la recherche d’un corps libre qui puise son énergie vitale dans le plexus solaire. Rien ne doit entraver le mouvement, ni dans le corps, ni dans la mise en scène. Son attachement, à l’antiquité comme modèle, à la nature comme quintessence de la vie et à la musique comme inspiration, est sans faille.
Dans cette transmission d’Elizabeth Schwartz à François Chaignaud, nous retrouvons les caractéristiques duncaniennes issues de longues improvisations : les mouvements se développent selon un flux continuel et ininterrompu, dans une alternance spatio-dynamique entre le ciel et la terre, entre tension et détente, entre ouverture et fermeture corporelle. Les spirales et les mouvements ascendants et descendants rappellent les postures de la statuaire antique. Le mouvement circule à travers le corps comme le va-et-vient des vagues sur la plage.
Loïe Fuller, Danse des couleurs,Brygida Ochaim (1988)
Brygida Ochaim redonne vie aux recherches de Loïe Fuller. Sur Sirènes de Claude Debussy et dans une création lumière de Judith Barry, elle nous partage le fruit de son étude sur la Fée électricité qui illumina et captiva le début du 20e siècle tant en Europe qu’aux Etats-Unis.
Ce que nous remarquons tout de suite : l’important n’est pas la forme du mouvement du corps mais la dynamique du mouvement perçue au travers du tissu que la danseuse fait onduler, vibrer, tournoyer à l’aide de deux longues baguettes tenues dans ses mains. La danse est vibration et la danseuse « jette dans l’espace des vagues de musique visuelles » évoquant, par une abstraction captivant les sens, la nature universelle.
Le corps apparaît ou se dissout dans le noir du plateau. Seul le tissu se métamorphose : Eau, vent, feu, nuages, fleurs, oiseaux, papillons apparaissent au gré des vibrations. La scène, de théâtre comme de cabaret, est un laboratoire d’expérimentations de la fusion entre mouvement, musique, lumière et couleur. Par cette alchimie, entre modernité technique et recherche d’une symbiose avec la nature, Fuller transcende l'opposition entre l'art des masses et l'art cultivé. Et cela aussi est moderne !
Etude révolutionnaire, Isadora Duncan (1921, transmission d’Elisabeth Schwartz à Valérie Ferrando / Ballet de Lorraine, 2005)
Au début des années 1920, Isadora Duncan arrive à Moscou pour y fonder une école, en quête d’un rêve révolutionnaire pour une vie plus juste et égalitaire. Confrontée à une réalité éloignée des idéaux de la Révolution de 1917, elle crée 3 danses pour partager ses émotions. Etude révolutionnaire est éloignée de la légèreté et de la joie émanant souvent des danses duncaniennes.
C’est le corps de l’ouvrier qu’elle incarne sur l’Etude pathétique de Scriabine : le corps qui ramasse, presse, enfonce, celui qui répète les gestes du travail, mais aussi ceux de la lutte : les poings fermés, le martèlement du sol, les cris sortant de la gorge. Le corps est fort, dense, décidé, défendant la cause prolétaire face à l’adversité.
East Indian Nautch Dance, Ruth Saint Denis (1906, film de 1944)
1944 : Ruth Saint Denis a plus de 60 ans et offre à la postérité ce film de sa célèbre East Indian Nautch Dance de 1906. Cela fait plus de 4 décennies qu’elle transpose la philosophie et la poésie des danses indiennes en quête d’une danse moderne et spirituelle. Radha, The Cobra, The Incence, Nautch Dance sont autant de solos qui, dès 1906, font le tour de l’Europe et consacrent son travail au-delà du continent américain et de New York.
Au son des clochettes et rythmes indiens et dans un bain olfactif d’encens, le travail d’ondulations et de tournoiements répétés ainsi que la stylisation des mains et le travail des yeux en référence aux mudras sont inspirés des devadasis, ces danseuses sacrées des temples d’Inde du Sud. A partir de 1915, avec son époux Ted Shawn, elle partagera cette vision mystique de la danse au sein de la 1ere école de danse moderne américaine la Denishawn School. Installée à los Angeles, la compagnie fera une tournée en Inde en 1926.
Spear Dance japonesque, Ted Shawn (1919, reprise par la compagnie Joyce Trisler, 1980)
Ted Shawn milite pour une danse masculine imprégnée des théories de Delsarte et de la culture orientale. Dans ce solo très populaire qu’il dansera toute sa vie, il s’emploie à inventer une danse qui déploie la physicalité des entraînements martiaux et le format des drames dansés japonais.
Muni d’une lance, ses actions suggèrent un combat contre un ennemi invisible. Ce combat est aussi celui d’offrir la possibilité d’une danse masculine dans une Amérique qui associe la danse à la féminité. Soutenu par l’arrangement musical de Louis Horst, ce solo est une adaptation occidentale de l’esprit des danses japonaises.
Variations toniques, mobilisation du corps tout entier, contrôle musculaire intense, introduction d’une danse de l’éventail suggérant une autre sensibilité… Avec Ted Shawn, le danseur moderne est né exposant virilité, expression et émotions dans une gamme sensible étendue.
Appalachian spring, Martha Graham (1944, captation de 1958, Martha Graham company)
Dès la fin des années 20, une première génération de danseurs quitte la Denishawn school, bien décidés à créer à partir de leur propre style : la Modern Dance est née ! Martha Graham en sera une des représentantes. Appalachian spring est un exemple de dramatic piece : une pièce moderne inspirée de la culture américaine où les ressorts narratifs permettent de développer la puissance des passions et tragédies humaines. Le drame situe l’action dans une communauté protestante de Pennsylvanie et rappelle l’esprit pionnier du 19e siècle : Un couple, une femme pionnière incarnée ici par Matt Turney, un pasteur et sa congrégation féminine cherchent leur foi dans l’avenir à construire. La culture des Shakers est présente tant dans la scénographie d’Isamu Noguchi que dans la musique d’Aaron Copland.
Cette captation de 1958 expose la puissance du corps dansant puisant sa force dans le bas ventre, dans la contraction et la détente du plancher pelvien, source du pathos et des pulsions. Imprégnée des idées issues de la psychanalyse, il s’agit pour Graham de puiser dans le corps une puissance dramatique nécessaire à l’expression de l’Émotion, avec un grand E.