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La danse au Québec : identités multiples

2018 - Réalisateur-rice : Plasson, Fabien

Chorégraphe(s) : Perreault, Jean-Pierre (Canada) Rhéaume, Harold (Canada) Boucher, Mario (Canada) Gravel, Frédérick (Canada) Maboungou, Zab (Canada) Émard, Sylvain (Canada)

en fr
01:41

Nuit

Perreault, Jean-Pierre (Canada)

02:09

Nuit

Perreault, Jean-Pierre (Canada)

03:00

Fluide

Rhéaume, Harold (Canada)

03:30

Rapaillé

Boucher, Mario (Rapaillé)

03:12

Gravel Works

Gravel, Frédérick (France)

02:47

Mozongi

Maboungou, Zab (Canada)

02:37

Le Grand Continental

Émard, Sylvain (Canada)

La danse au Québec : identités multiples

2018 - Réalisateur-rice : Plasson, Fabien

Chorégraphe(s) : Perreault, Jean-Pierre (Canada) Rhéaume, Harold (Canada) Boucher, Mario (Canada) Gravel, Frédérick (Canada) Maboungou, Zab (Canada) Émard, Sylvain (Canada)

Auteur : Geneviève Dussault

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Découvrir

  

Ce Parcours présente plusieurs extraits d’œuvres de chorégraphes québécois contemporains en les situant dans une perspective anthropologique. Chacun des artistes présentés propose, à travers son travail chorégraphique, un être-ensemble singulier qui s’exprime par la danse. Des influences aussi diverses que la danse en ligne, la danse traditionnelle et la danse autochtone imprègnent ces œuvres, formant une mosaïque des identités multiples de la danse québécoise. 

Dans le Québec multiculturel d’aujourd’hui, la notion d’identité est complexe, délicate et fluctuante. Elle n’est pas définie par la linéarité des liens du sang ou de l’origine mais par l’appartenance à un territoire commun. Le territoire, c’est celui qu’habitaient les Premières Nations avant d’accueillir les Français venus en faire l’exploitation commerciale puis les Anglais qui achevèrent l’œuvre de colonisation. C’est ce territoire qui habite l’imaginaire et qu’évoquent plusieurs chorégraphies. Par des mouvements de groupe où temps et espace sont donnés en partage, les chorégraphes posent leur regard d’artistes sur nos façons d’être ensemble et de négocier nos espaces communs.

Jean-Pierre Perreault a tenté à travers ses œuvres chorégraphiques de donner vie aux êtres qui peuplent ces territoires, ces grands espaces qui avalent ou portent les danseurs et dévoilent leur vulnérabilité. Harold Réhaume, qui a été interprète pour Perreault, questionne lui aussi, à sa manière, le thème du positionnement de l’individu au sein de la société. À l’aube du nouveau millénaire, celui-ci apparait comme une entité fluide et mobile. 

Au Québec, le besoin de consensus hérité des peuples autochtones imprègne le mode de vie et les modes relationnels. La négociation est préférée à l'autorité et les corps dansants en prolongent l’expression. Les Trous du ciel de Marie Chouinard, est inspirée par le peuple Inuit qu’a côtoyé la chorégraphe  lors d’un séjour dans le Grand Nord. L’œuvre propose une incursion dans un monde tribal et viscéral où voix et mouvements sont en symbiose,  illustrant l’organicité des liens entre l’homme et la nature.

Avec la quête identitaire comme toile de fond, l’histoire du Québec est marquée par le métissage et l’hybridité qui déjà transparaissent dans les danses dites traditionnelles. Les premières danses importées sont à l’image de celles des cours de France du XVIIe siècle. Viendront ensuite  les contredanses en lignes en vogue en Angleterre, puis les pas de gigue des Irlandais, des Écossais  et des Américains au début du XXe siècle. Le collectif Zogma, donne une nouvelle vie à la tradition en actualisant la gigue pour en faire une expression contemporaine. Dans Rapaillé, la danse est scandée par la poésie vibrante et engagée de Gaston Miron, publiée pour la première fois en 1970. 

Plusieurs danses contemporaines portent un écho de cette mise en commun du territoire et de la quête identitaire qui l’accompagne. Danses de groupe au rythme partagé, mouvements collectifs, porteurs d’un être-ensemble à réinventer apparaissent comme autant de microsociétés éphémères. La chorégraphe montréalaise d’origine congolaise Zab Maboungou, décrit le rythme de Mozongi comme «une persistance plus qu’un retour. »[1] Dans cette pièce de groupe incantatoire, le poids et le souffle articulent les mouvements et suggèrent un ici et maintenant  constamment renouvelé. Chez Fredéric Gravel comme chez Sylvain Émard la tribu se colore d’allures festives. Elle peut prendre l’apparence d’un  groupe tissé serré qui déambule à travers scène de façon à la fois provocante et cocasse, en revendiquant son appartenance au melting pot  culturel du XXIe siècle. Elle peut aussi devenir l’occasion d’un  être-ensemble  ludique et inclusif comme dans les Grands Continentals de Sylvain Émard. Le chorégraphe y fait un clin d’œil aux  danses en ligne  de son enfance qui dissolvent la quête identitaire dans l’exultation du plaisir de danser.

    

[1] http://www.nyata-nyata.org/oeuvres/repertoire-mozongi/

Description

1. Les petites sociétés 

Nuit - Jean-Pierre Perreault 

Le thème du groupe comme microsociété est un leitmotiv chez Jean-Pierre Perreault. Dans Joe (1984) comme dans Nuit et ses œuvres subséquentes on retrouve des êtres, souvent anonymes mais attachants, qui gagnent leur liberté au prix d’une rupture avec le groupe. Duos, solos et ensembles alternent, formant une mosaïque des multiples aspirations individuelles au sein d’une collectivité. « Au sein de l’attroupement, le Je s’abstient d’exister. Seul, parmi les autres, il découvre le piétinement commun, la frénésie collective, le tourbillon. »[1] Les espaces scéniques de Perreault replacent l’homme dans son humilité comme dans sa grandeur au sein de cette immensité territoriale. Le temps est collectif, rythmé par la simplicité des pas. « Perreault travaille sur les traces d’une mémoire collective qui sera modulée par celle, plus intime, de chaque spectateur. » [2] Ne soyons pas surpris d’y voir une allusion aux danses percussives traditionnelles. Aujourd’hui, Joe, son œuvre phare, est reprise avec des amateurs invités, le temps de quelques jours, à « Vivre Joe » dans la continuité d’une transmission vivante du patrimoine chorégraphique.


Fluide - Harold Rhéaume (2012)

Les années 2000 sont celles de  la « modernité liquide » selon le sociologue juif Zygmunt Bauman, pour qui les connexions en réseaux ont remplacé la notion trop stable de structure.[3] Cette fluidité, qui permet autant la connexion que la déconnexion, est explorée dans la chorégraphie de Rhéaume. La métaphore sociale recentre le propos sur l’individu. Ce n’est pas tant la place de l’individu au sein de la collectivité qui est mise en scène mais plutôt la société construite comme un réseau flexible et mobile entre individus.


Les Trous du ciel - Marie Chouinard 

Inspirée par la vie des Autochtones du Grand Nord, Les Trous du ciel est la première pièce de groupe de Marie Chouinard. Une œuvre charnière où la voix et le souffle, portés par des impulsions diaphragmatiques, sculptent dans les corps une fascinante organicité. Une ode à la tribu humaine et aux grands espaces du Nord qui se déploie sous une voûte  céleste où la lumière des étoiles nous parvient, selon une légende inuit, grâce aux trous dans le ciel. La danse se déploie en une série de rituels intemporels incarnés dans une gestuelle ondulatoire et jubilatoire.

2. « Je me souviens »

Rapaillé - Frédérique-Annie Robitaille et Dominique Desrochers 

L’Homme rapaillé de Gaston Miron, par sa façon très personnelle d’entrelacer  le destin individuel et le destin collectif est considéré comme l’un des livres québécois les plus importants du XXe siècle. L’œuvre « . . .reste une réponse esthétique à la problématique de la culture québécoise. Elle s'oppose à l'aliénation linguistique et à l'humiliation du colonisé, elle s'impose dans la conscience nationale. » [4] La danse, tout comme la langue, repose sur l’oralité pour rester vivante. En giguant sur les vers de Miron, le collectif de folklore urbain Zogma met littéralement en mouvement la question identitaire. En s’incarnant dans des rythmes et des corps, les textes acquièrent une sensualité nouvelle. En incorporant les rythmes de la langue la danse devient mémoire vive et déploie son éventail de signifiés.

3. Un lieu d’appartenance

Gravel Works - Fredéric Gravel

Une série de petites scènes chorégraphiques assemblées en une courtepointe. On pourrait penser aussi à des photos prises avec une caméra polaroid. Des instantanés, pas nécessairement raffinés mais témoignant de tranches de vie qu’on regrouperait pour faire un album souvenir de nos identités multiples. Une esthétique « trash » mais sans lourdeur. Une communauté désinvolte et postmoderne.


Mozongi - Zab Maboungou

La pièce Mozongi  est une réponse de Maboungou au solo Incantation (1995). Cette pièce de groupe puissante et enracinée  utilise la technique du loketo qui permet le voyage du souffle dans le corps afin de générer un engagement rythmique et postural dans le mouvement à travers le ressort du poids. C’est ce rapport au poids assumé et partagé qui fonde l’expression de Mozongi. On y retrouve le groupe vécu comme un réseau de racines individuelles. Sur scène, des danseurs de différentes origines, réunis par le souffle des tambours, s’emparent du sol pour y ancrer une communion entre les hommes et le territoire.


Grand continental - Sylvain Émard 

Pour Sylvain Émard, le Grand continental est un moyen de se rapprocher de l’essentiel, de retrouver le sens de la collectivité en décloisonnant la danse savante et la danse populaire[5]. En faisant participer des non-professionnels à ces rassemblements chorégraphiques festifs, la frontière entre public et participants s’estompe; la danse redevient lieu de convivialité, identité partagée, territoire commun. Les deux mois de répétitions préalables créent dans le groupe un fort sentiment d’appartenance. L’expérience esthétique devient expérience transformative qui permet au public d’être touché par l’humanité des interprètes. La création du premier Grand Continental en 2009 pour le Festival de Théâtre des Amériques a fait boule de neige et d’autres moutures ont depuis vu le jour au Mexique, aux États-Unis et en Corée.

Le questionnement du territoire, de l’identité, des différentes façons d’être ensemble apparait  en filigrane dans le travail de plusieurs artistes et chorégraphes québécois. Aujourd’hui, les réflexions qui entourent la conservation et la transmission du patrimoine chorégraphique québécois nous invitent à porter un nouveau regard sur ces enjeux.

  

    

[1] MARTINEAU, Sylviane, « Le paradoxe d’être » Jean-Pierre Perreault, Chorégraphe, Les Herbes rouges /essais, 1991, p.41.


[2] FEBVRE, Michèle  « Les paradoxes de la danse-théâtre » La danse au défi. Montréal : Parachute, 1987, p. 83. 


[3] BAUMAN, Zygmunt, La vie liquide, Éditions du Rouergue, 2006. 


[4] ROYER, jean, « Gaston Miron, retour sur L’homme rapaillé », Lettres québécoises : la revue de l'actualité littéraire, n° 105, 2002, p. 17-18, http://id.erudit.org/iderudit/37317ac


[5] Table ronde “Qu’est-ce qui fait danser les foules? BAnQ, 29 avril 2014.

Approfondir

Ouvrages et chapitres

FEBVRE, Michèle, « L’Espace de la gravité », in PERREAULT, Jean-Pierre, Regard pluriel, Québec, Les Heures bleues, 2001. 


GÉLINAS, Aline. Jean-Pierre Perreault Chorégraphe. Montréal, Les Herbes rouges, 1991. 
109 p. (Les Herbes rouges/Essais).

MABOUNGOU, Zab. Heya. Danse ! historique, poétique et didactique de la danse africaine. Montréal : Éditions du CIDIHCA, 2005. 
110 p.

TEMBECK, Iro, Danser à Montréal : germination d’une histoire chorégraphique. Montréal : Presses de l’Université du Québec, 1991. 
335 p.


Articles et revues

CHARTRAND, Pierre. La Gigue dans tous ses états [en ligne]. Disponible sur : http://www.bigico.ca/perspectives/perspective-pierre-chartrand-2013/  

FEBVRE, Michèle. « Les paradoxes de la danse-théâtre », in La danse au défi, Montréal, Parachute, 1987. 



Sites web

Espaces chorégraphiques 2 [en ligne]. Globalia, dernière mise à jour, 2017.Disponible sur : 
 http://www.fondation-jean-pierre-perreault.org/fr/  

Toile-mémoire de la danse au Québec (1895-2000) [en ligne]. Pixel Circus, dernière mise à jour 2017. Disponible sur : 
http://www.quebecdanse.org/rqd/memoire  

Auteur

Chargée de cours au Département de danse de l’Université du Québec à Montréal depuis 1984, Geneviève Dussault enseigne l’analyse du mouvement, le rythme corporel et l’histoire de la danse. Détentrice d’une maîtrise en danse de l’Université York de Toronto (1991) portant sur l’analyse comparative du Baratha-Natyam et de la danse baroque, elle aussi est certifiée en analyse du mouvement du Laban/ Bartenieff Institute of Movement Studies (1996). Elle a œuvré en tant que chorégraphe-interprète en  danse contemporaine et baroque et s’est produite au Canada et en Europe grâce à l’appui du Conseil des Arts et des Lettres du Québec. 

Générique

Sélection des extraits
 Geneviève Dussault


Textes et sélection de la bibliographie
 Geneviève Dussault


Production
 Maison de la Danse



Ce Parcours a pu voir le jour grâce au soutien du Secrétariat général du Ministère de la Culture et de la Communication - Service de la Coordination des politiques Culturelles et de l'Innovation (SCPCI) 

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