Dans Tempus Fugit, Sidi Larbi Cherkaoui ausculte la destinée humaine sous le prisme du temps qui passe. Autour d’une structure composée de mats chinois, les dix interprètes de cette troupe cosmopolite balancent entre hauts et bas de leur existence. Dans ce jeu d’élans et de chutes, l’ambigüité règne. Et c’est ce qu’illustre cette séquence. Comme dans un musical indien, musique, danse et confettis transforment les questionnements existentiels en un tableau festif où le désordre du monde se résorbe. Tout le monde avance avec le même pas mais l’unisson dure bien peu. Le caillou traîne dans la chaussure. De même que claque et caresse sont données par les deux faces de la même main, l’enchantement que prodigue la danse « Bollywood » reste traversé de complications.
Pour le Défilé de la Biennale de la danse, sur le thème des « Routes de la soie », le groupe de Vénissieux sollicita Fatiha Bouinoual, chorégraphe Hip Hop et Annie Torre, danseuse de Bharata Natyam, danse classique de l’Inde du Sud. Chacune chorégraphia sa partie, l’une et l’autre s’enchaînant sur la partition du Chant des Canuts. Celle créée par Annie Torre est fidèle aux codes du Bharata Natyam. Interprétée en extérieur, elle rappelle que cette danse fut jadis pratiquée par des prêtresses qui, lors de processions, défilaient en cortège. Dans les rues de Lyon, pour les danseurs amateurs qui eurent ainsi l’occasion de s’y initier, la difficulté fut de préserver la qualité sonore de leurs pas frappés, et de suivre, malgré le bruit de la rue, le rythme donné par le chœur.
Au Rajasthan, les musiciens font claquer dans leurs mains deux lames de bois appelées kartal, qui sont les ancêtres des castagnettes. Yatra parle justement du voyage de la danse indienne jusqu’à l’Espagne. Dans cet extrait, le joueur de Kartal et André Marin se livrent à une joute rythmique. Si l’instrumentiste ne danse pas, il est saisissant de voir l’analogie de ses gestes avec les mouvements de bras du bailaor. Ce face à face énergique entre les deux hommes, issus de deux contrées éloignées, rend visible la filiation du flamenco avec le Kathak, danse classique de l’Inde du Nord. Les frappés de pieds trépidants qui la caractérisent se devinent dans les zapateados et taconeos d’Andrés Marin.
La danse kathak, Akram Khan l’a apprise à l’âge de 7 ans. Après dix ans de pratique, le chorégraphe né en Angleterre d’une famille bangladaise s’est tourné vers la danse contemporaine. De cette autre approche, il a tiré un nouveau langage, caractérisé par une vélocité puissante et précise. Dans cet extrait de Gnosis, Akram Khan et Fang-Yi Sheu paraissent à l’unisson quand un geste, de l’un ou de l’autre, vient contrecarrer cette promesse. Ils regardent dans une direction opposée, se rejoignent, et se décalent à nouveau. Les mouvements d’impact accumulant l’énergie pour la figer dans l’espace rappellent les tournoiements rapides du Kathak qui, après une explosion rythmique, s’achèvent par une longue pose. On reconnaît aussi bien les lancés de bras et les inflexions du poignet.
Dans Ibuki, c’est l’empreinte du kuchipudi que l’on distingue aisément. Formée à ce style indien, Shantala Shivalingapa a eu l’occasion de travailler avec des chorégraphes de ballet et de danse contemporaine. Ces rencontres l’ont amené à appréhender autrement sa danse. Sa collaboration avec Ushio Amagatsu, fondateur de la compagnie de butoh Sankaï juku, dont les créations paraissent si éloignées de la danse indienne, participe de la conviction que, malgré des langages techniques très différents, une même conception de la danse les habite. Dans cet extrait, la danseuse combine des mouvements continus et lents, malgré quelques accélérations, qui relèvent plutôt de l’énergie du Butoh, avec des mudra – gestes des mains – une géométrie des bras et des positions de pieds propres au kuchipudi.
Ces éléments gestuels sont également caractéristiques du Bharata Natyam, dont Priyadarsini Govind est l’une des plus grandes interprètes de sa génération. Avec sa complice Elisabeth Petit, une danseuse française du même style, elle a conçu Sahasam, un spectacle jeune public destiné à faire découvrir la danse et la musique indienne. Dans cet extrait, elle mobilise l’Abhinaya, art de la danse narrative où, par le corps, les gestes des mains – les mudras - et les expressions du visage, l’interprète raconte un poème chanté. Ici, le texte est récité par la narratrice en scène, qui permet ainsi au spectateur de comprendre la signification de cette gestuelle. Sans doute pour faciliter la compréhension du public, les gestes utilisés sont moins symboliques qu’analogiques, se rapprochant de la pantomime.