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[1930-1960] : Entre Europe et Etats-Unis, un néoclassicisme à l’écoute de son temps

Maison de la danse 2019 - Réalisateur-rice : Plasson, Fabien

Chorégraphe(s) : Lifar, Serge (Ukraine) Tudor, Antony (United Kingdom) Balanchine, George (Russian Federation) Béjart, Maurice (France) Petit, Roland (France)

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02:57

Suite en blanc

Lifar, Serge (Serge Lifar-Suite en blanc.mp4)

03:33

Pillar of fire

Tudor, Antony (United States)

03:00

Agon

Balanchine, George (United States)

02:59

Joyaux

Balanchine, George (France)

Numeridanse 2018 - Réalisateur-rice : Cavassilas, Pierre

Chorégraphe(s) : Balanchine, George (Russian Federation)

Découvrir l'œuvre dans la vidéothèque
03:10

Le mystère Babilée - Le jeune homme et la mort

Petit, Roland (Mystere Babilee-jeune homme et la mort.mp4)

02:21

La IXème symphonie

Béjart, Maurice (France)

[1930-1960] : Entre Europe et Etats-Unis, un néoclassicisme à l’écoute de son temps

Maison de la danse 2019 - Réalisateur-rice : Plasson, Fabien

Chorégraphe(s) : Lifar, Serge (Ukraine) Tudor, Antony (United Kingdom) Balanchine, George (Russian Federation) Béjart, Maurice (France) Petit, Roland (France)

Auteur : Céline Roux

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Découvrir

En 1929, à la mort de Serge de Diaghilev, les Ballets russes ont comme chorégraphe prédominant Georges Balanchine. La troupe ne survit pas à son producteur mais le néoclassique est né sans qu’une dénomination ne lui soit encore attribuée. L’époque parle de « ballet moderne ». Sans remettre en question le langage chorégraphique hérité du post-romantisme, les chorégraphes classiques du 20e siècle vont le nourrir et l’enrichir notamment dans les thèmes abordés, dans l’invention corporelle et dans les choix de collaborations qui reflètent leur temps et ses préoccupations. Si les Ballets russes n’ont pas ouvert d’école, les générations à venir vont transmettre et enseigner les fondements de ces néoclassiques naissants.

« Néoclassique » : le terme commence à être utilisé après la Seconde Guerre mondiale notamment dans la presse française. Serge Lifar va l’employer pour définir l’arabesque et le dégagé dans son Traité de danse académique de 1949. Cependant, ce n’est pas une « école » ou un « mouvement » qui fédère. Ce mot sert à définir la danse classique émancipée du seul répertoire du 19e siècle. Ce qui est néoclassique, c’est avant tout ce qui transparaît dans les corps : les deux plans verticaux et horizontaux sont remis en question notamment par le non-respect de l’aplomb et de la verticalité, mais aussi par les déhanchements et l’asymétrie. Les œuvres peuvent être narratives, expressives voire abstraites et dans un renouvellement musical.

(Ce Parcours vidéo vous invite à voyager parmi des œuvres chorégraphiques du début du XIXème. La qualité des vidéos peut varier en fonction de l'ancienneté de l’œuvre.)

Description

  

A partir des années 1930, 

A Monte-Carlo et au-delà : faire perdurer la légende des Ballets russes.

A Londres : donner naissance au classique britannique

A l’Opéra de Paris : rénover l’excellence.


A Monte-Carlo, l’héritage des Ballets russes est très prégnant. Des compagnies se succèdent et rivalisent comme Les Ballets de Monte Carlo de René Blum et les Ballets russes du colonel Basil. Léonide Massine, avant de partir aux Etats-Unis, sera une figure de proue de cette vitalité chorégraphique monégasque. D’anciens danseurs de Diaghilev deviennent indépendants et montent leurs propres programmes comme Vera Nemtchinova ou Léon Woizikovski. Bronislava Nijinska passera d’une compagnie à une autre au gré des commandes. Entre Paris et Monte-Carlo, le label russe fait toujours rêver en attendant qu’il soit repris, dans l’après-guerre, par un riche mécène, le marquis de Cuevas.

Si beaucoup de ces danseurs russes vont s’exiler aux Etats-Unis dans l’entre-deux guerres, de nombreuses troupes voient aussi le jour en Europe. En Angleterre, ce sont deux anciennes des Ballets russes, Ninette de Valois et Marie Rambert, puis Frederick Ashton, qui impulseront la naissance du ballet britannique. Ninette de Valois développera des écoles (comme l'Academy of Choreographic Art à Londres, l'Abbey Theatre School of Ballet à Dublin, puis le Sadler's Wells Ballet School) dans le but de former une compagnie de ballet de répertoire avec des danseurs formés dans un style uniquement britannique. Compagnie et écoles apparaissent alors comme les ancêtres de l’actuel Royal Ballet, du Birmingham Royal Ballet et de la Royal Ballet School.

A l’Opéra de Paris, la créativité et la présence des Ballets russes se font sentir dès 1914. La compagnie de Diaghilev s’y est même produite notamment en 1925. Le directeur Jacques Rouché invite pour les nouvelles créations des compositeurs et des peintres de talent afin de renouveler le répertoire. La danse y est remarquée mais sans le génie d’un Michel Fokine. Après une collaboration non réussie avec Balanchine en 1929, C’est Serge Lifar qui est nommé au titre de maître de ballet et de chorégraphe. Il a vingt-cinq ans et restera à ce poste jusqu’à la fin des années 1950. Les témoignages sont unanimes : Serge Lifar apporte un vent de jeunesse dans une institution encore très imprégnée du 19e siècle. Mais jeunesse rime avec exigence et discipline. Le répertoire est rénové et élargi notamment grâce à la création de nombreuses pièces valorisant la danse masculine. Il développe une nouvelle grammaire corporelle dans laquelle, par exemple, les pieds gardent leur direction naturelle dans les marches et les arabesques, dégagés et développés s’effectuent en parallèle. Il met en place des classes d’adage et fait naître une nouvelle génération d’étoiles françaises comme Yvette Chauviré, Solange Schwartz ou Lycette Darsonval. En 1935, il signe Icare, inspiré de l’aviation et du mythe antique. Intitulé « ballet sans musique », Serge Lifar règle les rythmes des percussions, partition rythmique qui sera ensuite transposée et orchestrée. Les décors et costumes sont signés Paul Larthe puis, dans la version de 1962, de Pablo Picasso, mais contrairement aux collaborations qu’il a connues au sein des Ballets russes, les costumes et décors n’entravent pas la danse. Chez Serge Lifar, c’est la danse qui prime et il est favorable à la suprématie du chorégraphe sans pour autant rejeter la parité entre les arts : des collaborations, oui ! Mais au service de la danse. Icare sert à illustrer son Manifeste du chorégraphe. Il y déploie en dix points les fondements d’un ballet renouvelé. Notamment, il défend la musicalité du mouvement dansé face à une musique extérieure imposée à la danse. Il revendique aussi le statut de créateur. Le néologisme « choréauteur » est né.


Suite en blanc (1943) ou comment créer de « belles visions » !

Pour Serge Lifar, la danse, c’est « l’en-dehors, l’équilibre, l’extase, l’élévation… C’est la géométrie contrôlée, ordonnée et appliquée »[1]. Avec Suite en blanc, il propose un ballet sans livret. Une absence d’argument justifiée ainsi : « En composant Suite en Blanc je ne me suis préoccupé que de danse pure, indépendamment de toute autre considération : j'ai voulu créer de belles visions, des visions qui n'aient rien d'artificiel, de cérébral. Il en est résulté une succession de véritables petites études techniques, de raccourcis chorégraphiques indépendants les uns des autres, apparentés entre eux par un même style néo-classique »[2]. Suite en blanc, donné des centaines de fois à l'Opéra et sur bien d'autres scènes, est créé en 1943 dans un imposant décor Art Déco, qui est ramené aujourd'hui à un simple plateau surélevé sur fond de rideaux noirs, avec deux escaliers latéraux pour y accéder depuis le fond de la scène. Dans son désir de montrer une « danse qui danse », il ôte ici tout caractère dramatique, pantomimique ou narratif pour exposer l’essence de son art. Un ballet en un acte et huit thèmes (La Sieste - Thème varié - Sérénade - Pas de cinq - La Cigarette - Mazurka - Adage - La Flûte) qui décline le panel gestuel du chorégraphe dans un format qui rappelle, dès le titre, le ballet blanc romantique ou encore Les Sylphides de Michel Fokine, considéré comme le premier ballet abstrait. Il perpétue une vision de la danse qui contient un idéal de beauté. Pièce remontée, en 1946, pour les Nouveaux Ballets de Monte-Carlo, sous le titre Noir et Blanc, elle fera l’objet d’un désaccord, en 1958, entre son auteur et le nouveau directeur de la compagnie monégasque, le marquis de Cuevas… Désaccord qui prendra tant d’ampleur qu’il s’achèvera par un duel à l’épée ! La chorégraphie est une chose sérieuse…


Les Etats-Unis et les années 1930 et 1940 : 

Inventer un classique américain.

Aux Etats-Unis, la danse classique n’a pas de racines profondes. Celle-ci connaît une existence grâce aux danseurs russes, notamment ceux de Diaghilev, qui ont migré pour s’installer outre-Atlantique. Ainsi, par exemple, Louis Tchalif, Michel Mordkin, Theodore Kozlov, Adolph Bolm fondent des écoles et des compagnies. Michel Fokine et Léonide Massine feront aussi partie de ces russes exilés dans le Nouveau monde. En 1933, le mécène Lincoln Kirstein rencontre Georges Balanchine et rêve de fonder une compagnie purement américaine : The Ballet society. Il faudra du temps pour que ce projet voie le jour. Créée en 1946, la compagnie deviendra en 1948, le New York City Ballet, résultat de plusieurs tentatives antérieures et de la fondation, dès 1934, de la New School of American Ballet. Le ballet américain peut ainsi former ses danseurs dans son école et les produire dans sa compagnie avec comme main de maître, un russe : George Balanchine.

Parallèlement, en 1939, naît l’American Ballet Theater (d’abord appelé Ballet Theater) fondé par Lucia Chase et Richard Pleasant, une compagnie de répertoire composée de trois chorégraphes principaux : Antony Tudor, un britannique qui arrive à New York en 1940, l’américaine Agnès de Mille revenue d’un passage remarqué à Londres et Jerome Robbins, issu d’une famille de juifs russes émigrés. Les programmes alternent des ballets de répertoire tels que Giselle ou Le Lac des cygnes et des œuvres du moment qui participent à l’américanisation du ballet : les pièces produites évoquent les mœurs américaines et le rythme effréné du Nouveau monde. Plus tard et durant une décennie, ce sera le célèbre danseur et chorégraphe russe Mikhaïl Baryshnikov qui en prendra la direction.

En 1942, c’est le San Francisco Ballet qui ouvre ses portes. Puis, en 1956, le Joffrey Ballet. La danse classique américaine est née et se développe ainsi dans de nombreuses structures mais elle n’empêche pas les tournées des compagnies européennes comme celles du Grand Ballet du marquis de Cuevas. Créée en 1947 à Monte Carlo, cette compagnie soutenue par les finances de la femme du marquis, une fille Rockfeller, aura un énorme succès jusqu’en 1962 comme si le spectre des Ballets russes de Monte Carlo continuait à traverser l’Atlantique !


Du dramatic ballet aux  comédies musicales :

Le ballet se construit dans la force d’un syncrétisme à l’américaine.

Le ballet américain s’est rapidement émancipé des seuls codes du ballet post-romantique qui valent leurs lettres de noblesse à la danse classique européenne. Il s’empare de thématiques américaines : histoire des Etats-Unis, faits divers, quête du far west, culture des cowboys et des indiens sont autant de thèmes qui renouvellent le genre et renforcent le développement identitaire. Le format de la soirée composite, durant laquelle se donnent à suivre des pièces aux univers variés, est souvent adopté. Le ballet expose aussi rapidement un syncrétisme à l’américaine : être à la croisée du ballet, du drame, du divertissement, de la danse de théâtre et de celle des comédies musicales. La danse classique américaine navigue sans complexe entre ces différents réseaux de production du spectacle vivant sans jamais être inquiétée d’être cataloguée à un endroit plutôt qu’à un autre. Il n’y a qu’un pas de Broadway à Hollywood, il n’y a qu’un pas de Broadway à la scène à l’italienne !


Pillar of Fire (1942) d’Antony Tudor :

Exemple d’un psychological ballet.

Pillar of fire est défini en américain comme un psychological ballet, c’est-à-dire un ballet narratif soutenu par un fort déploiement dramatique et une place importante donnée à l’expression. Il utilise les formes du ballet classique au niveau chorégraphique et au niveau de la gestuelle sans exclure une stylistique moderne : la nature psychologique des rôles prime. En ressort une dimension naturaliste qui met en avant une expression émotionnelle moderne, faite d'austérité et d'élégance. Le décor plonge le spectateur dans une petite ville de campagne de 1900 et narre l’histoire d’Agar, une jeune fille qui prévoit une vie de célibat au milieu de ses sœurs. Elle est confrontée aux ressorts des passions qui l’entourent et aux jugements de ses pairs, exposant le puritanisme américain mais aussi la pression des forces communautaires. Finalement, elle retrouve l’homme qu’elle aime. Verklärte Nacht (Nuit transfigurée) d'Arnold Schöenberg encourage considérablement la dimension dramatique de l’œuvre. Dans le premier casting de cette création, deux noms retiennent notre attention : une américaine qui dédiera une grande partie de sa carrière à la France et à la formation des danseurs classiques à partir des années 1960, à Cannes, Rosella Hightower, et un jeune danseur d’une vingtaine d’année qui sera décisif pour la danse néoclassique américaine : Jerome Robbins.


Georges Balanchine et Jerome Robbins : le génie américain.

Elève de Michel Fokine, ayant pratiqué toutes sortes de danses et étant passé par Broadway et le théâtre yiddish, Jerome Robbins est une figure du syncrétisme américain dont il porte l’expérience corporelle comme danseur. Chorégraphe, il signe des œuvres aussi bien pour le ballet que pour la comédie musicale, le théâtre, le film ou la télévision. Entre beauté lyrique et humour, Robbins développe une palette inventive et une production prolifique dont l’étendue est peu connue en Europe. Il y a évidemment les œuvres incontournables comme Fancy free (1944), On the Town (1945) sa première comédie musicale, et surtout son emblématique transposition de Roméo et Juliette dans les bas-fonds newyorkais des années 1950 : West Side Story. Sa collaboration avec le compositeur Leonard Bernstein est déterminante et sera renouvelée plusieurs fois. En 1949, Balanchine lui propose de partager la direction du NYCB. Durant une décennie, les deux hommes marqueront cette compagnie de leur savoir-faire et développeront un projet commun : inventer une identité américaine à la danse classique.


Agon (1957) de George Balanchine :

Quand la danse est une émanation interprétative de la musique.

Chez Balanchine, la danseuse devient verticale aux jambes longues, au buste plat et au cou allongé. L’aplomb du corps et l’empilement des volumes (jambes/bassin/tronc/tête) ne sont plus nécessairement respectés. Les lignes dans l’espace, la vitesse, le déséquilibre deviennent des éléments de composition forts. Le pas de deux joue de la force gravitaire entre les partenaires. La danse y est claire et graphique, sans obligation narrative. De même, Balanchine défend une danse qui peut se passer de tout décor et costume : un tapis de danse, un cyclorama éclairé, un justaucorps et un collant suffisent. Pièce majeure dans le répertoire, Agon est considéré comme le prototype de l’art balanchinien. Le sujet : la danse elle-même déployée dans une succession de petits groupes de danseurs. La relation musique-danse y est primordiale surtout dans la collaboration avec un compositeur qu’il a connu durant l’aventure des Ballets russes : Igor Stravinsky. Ensemble, ils forment un couple basé sur la tradition : la structure de la danse doit être strictement soumise à celle de la musique qu’elle interprète.

George Balanchine crée aussi des ballets sur fond de culture américaine, celle des cowboys dans Western Symphony (1964) à partir de mélodies traditionnelles américaines ou l’évocation des parades du 4 juillet dans Stars and Stripes (1958). En 1970, Who cares ? est créé sur la musique de Gershwin, un autre signe de son acculturation. En effet, comme Jerome Robbins, au-delà des nombreux ballets qu’il crée jusqu’à sa disparition en 1983, il se rapproche rapidement des comédies musicales, des revues et du cinéma. On your toes (1936), Goldwyn follies (1938), Cabin in the sky (1940) sont autant de productions qui font connaître Balanchine en dehors du circuit « réservé » de la danse classique de théâtre, d’autant qu’après le début des années 1930 et les crises économiques et sociales qui résultent de 1929, Broadway et Hollywood vont entrer dans leur âge d’or : paillettes et divertissement semblent être le remède à la difficulté de la vie.


Jewels (1967) de George Balanchine : 

Quand le style de Broadway s’invite dans le ballet.

Jewels est composé en trois parties évoquant des pierres précieuses auxquelles sont associées les grandes « écoles » de la danse classique : les émeraudes pour l’école romantique française, les rubis pour la tradition américaine, les diamants en hommage à la virtuosité et aux grands ballets russes. Ce ballet expose ainsi son parcours artistique, lui qui a débuté au Théâtre Mariinsky, chorégraphié pour l’Opéra de Paris et fondé le NYCB. « Rubis » reflète donc cette tradition américaine empruntée aux music-halls de Broadway, traduite par des intonations jazz et des mouvements balancés sur une musique d'Igor Stravinsky. Les poignets sont volontiers cassés. Le bassin s’appuie en avant sur la pointe, bascule en arrière ou ondule au son des notes de piano. Les hanches passent de l’en-dehors à l’en-dedans. Les corps sont visibles sous tous les angles et les lignes de jambes sillonnent l’espace dans son entièreté donnant au vocabulaire classique une autre tonalité.


En France, les années 1950 :

De nouvelles signatures et des compagnies indépendantes.

Tout comme dans d’autres nations européennes, après la Seconde Guerre mondiale, émergent à Paris de jeunes compagnies néoclassiques comme Les Ballets des Champs-Elysées (1945), Les Ballets de Paris de Roland Petit (1948), Les Ballets Jeanine Charrat (1951), Les Ballets de l’Etoile de Maurice Béjart (1954). En effet, une nouvelle génération de chorégraphes et de danseurs se révèle en dehors de la grande Institution qu’est l’Opéra de Paris. L’interprète prend une place prédominante pour ces chorégraphes qui créent « sur mesure » les rôles et l’incorporation de la danse. Paris, à la fin des années 1950, semble être un carrefour européen de l’art du mouvement  avec notamment le Théâtre des Nations ou encore le Festival international de la danse au théâtre des Champs-Elysées.


Roland Petit, un curieux à la liberté artistique sans faille.

Formé à l’école de l’Opéra de Paris, notamment auprès de Serge Lifar, Roland Petit devient le chorégraphe attitré des Ballets des Champs Elysées (1945) puis fonde les Ballets de Paris (1948). Il s’associe à des écrivains, peintres, décorateurs et stylistes issus d’univers pluriels tels que, pour ne citer que quelques-uns des noms connus de tous : Serge Gainsbourg, César, Max Ernst ou encore Yves Saint Laurent. Nous y retrouvons aussi d’anciens collaborateurs des Ballets russes comme Jean Cocteau ou Natalia Gontcharova. Entre littérature, existentialisme, comédie musicale et cabaret, les goûts de Roland Petit sont hétéroclites et son vocabulaire va être inspiré de cela. En 1972, il règlera même la chorégraphie d’un concert des Pink Floyd. Cette même année, il s’installe à Marseille comme directeur de la troupe de danse néoclassique la plus importante après celle de l’Opéra de Paris : le Ballet national de Marseille auquel il adjoint une école de formation en 1992.


Le Jeune homme et la mort (1946) de Roland Petit, 

l’existentialisme mis en scène.

Nijinsky a eu son spectre de la rose, je vais te faire ton spectre à toi : dit Cocteau à un tout jeune danseur, Jean Babilée. Dans une atmosphère existentialiste, pensée prégnante de l’époque, c’est en effet Cocteau qui propose un livret. Est mis en scène le suicide d’un jeune peintre dans son atelier qui, rêvant de l’Amour, rencontre la Mort incarnée par une femme séductrice dans un décor saturé de symboles exposant les idéaux antagonistes de l’être humain. Travaillée en répétition sur de la musique jazz, c’est sur La Passacaille de Bach que le public découvre l’œuvre : le « synchronisme accidentel » musical ajoute de la force à la gestuelle acrobatique. Roland Petit compose pour Jean Babilée une danse faite de sauts et de chutes, de moments d’attente et de regards répétés vers sa montre au poignet évoquant la perturbation psychologique du jeune homme. En 1966, ce sont Zizi Jeanmaire et Rudolf Noureev qui reprennent les rôles pour la version filmique. La chorégraphie est alors modifiée : l’écriture de Roland Petit s’appuie sur la personnalité de celui/celle qui la danse.


Le phénomène Béjart : un point de ralliement international

et une recherche de symbiose entre les cultures.

Se refusant à l’unique tradition, il est reconnu comme précurseur de l’utilisation de la musique concrète pour le ballet – même si Jeanine Charrat en avait déjà fait l’expérience – et Symphonie pour un homme seul (1955) ouvre la voie des collaborations avec Pierre Schaeffer et Pierre Henry. Dès 1960, Maurice Béjart crée Le Ballet du XXe siècle à Bruxelles. Si ses débuts français n’ont pas été soutenus, c’est en Belgique qu’il déploie sa créativité. Création et formation ne font qu’un. Dès les années 1970, il ouvre Mudra, une des écoles les plus importantes en Europe ; puis, en 1977, Mudra-Afrique à Dakar, dirigée par la franco-sénégalaise Germaine Acogny. La danse est un mouvement rituel et elle est universelle. Le spectacle et la scène sont les lieux de réalisation d’un art total et œcuménique qui dépasse les différences culturelles, philosophiques et/ou religieuses. Pour cela, il s’entoure d’interprètes à forte personnalité, comme Jorge Donn, et est en quête de thématiques en lien avec son temps et de recherches de vocabulaire au-delà des cultures, ne voulant pas définir la danse en des genres, styles ou catégories. Il est peut-être un de ceux qui interrogent intensément les classifications entre néoclassique, moderne et contemporain, tout en restant très attaché à la première qu’il voit comme une « base de travail » à l’incorporation de tout autre mouvement dansé. Se refusant aussi à l’unique public des théâtres, il déplace les tournées de ses spectacles sous des chapiteaux ou dans des salles omnisports, allant vers d’autres spectateurs ou bien bouscule les habitudes des abonnés : en 1967, dans la Cour d’honneur d’Avignon, il crée Messe pour le temps présent, hymne à une jeunesse en rébellion où les jeans remplacent les collants et où se côtoient exercices classiques à la barre et jerk faisant ondulé le bassin.


La Neuvième symphonie (1964) de Maurice Béjart, hymne à la fraternité.

Présentée à la création au Cirque Royal de Bruxelles, puis au Palais des Sports de Paris, ce ballet sans argument fera le tour du monde dans des salles accueillant des milliers de spectateurs. Le spectacle se veut réunificateur : l’humanité regarde l’humanité fraternelle qui danse dans le prolongement de la partition de Beethoven, des textes de Friedrich Nietzsche et de Friedrich von Schiller. Exemple, par excellence, de la symbiose entre les cultures et de la fraternité entre les races tant recherchées par Maurice Béjart. Pour lui, il s’agit avant tout « d’une participation humaine profonde à une œuvre qui appartient à l’humanité entière et qui est ici non seulement jouée et chantée, mais dansée, tout comme l’était la tragédie grecque ou toutes les manifestations religieuses primitives et collectives. » La chorégraphie utilise des formes fédératrices collectives : unissons, lignes, farandoles, rondes… et le sol en expose le canevas : autant de formes, de figures, de pointillés dessinant les rites universels, tout en servant de repères aux danseurs. La danse est un rituel qui nous unit.


Pendant ce temps en Russie…

Alors que tout est parti de Russie dans le développement du néoclassique, la danse classique russe des années 1930 doit répondre aux invectives politiques : l’art doit être utilitaire sous peine d’être déclaré décadent. Avec la fermeture des frontières jusqu’en 1945, le stalinisme voit dans l’art le moyen d’affirmer le réalisme socialiste. Derrière le rideau de fer, Staline rebaptisera le Mariinsky en Kirov et encourage les ballets exposant l’idéologie bolchevique. Les formes sont conventionnelles : le ballet narratif en trois actes. Le Bolchoï, ballet implanté à Moscou suit, lui aussi, ces préceptes. La danse y est virtuose dans sa technique et cela sera la signature de la danse russe. A partir des années 1950, le public occidental sera conquis devant les étoiles charismatiques comme Vladimir Vassiliev. Cependant, ces étoiles n’aspirent qu’à une chose : fuir le régime communiste durant les tournées. Ce sera le cas de Rudolf Noureev (en 1961), Natalia Makarova (en 1970) ou Mikhaïl Baryshnikov (en 1974) par exemple.

    

[1] Citation extraite d’une interview de Serge Lifar dans un volet de la série documentaire « Visages contemporains » en 1963.


[2] Citation tirée de Livre de la Danse de Serge Lifar, éditions du Journal Musical Français, 1954, pp. 186-187.

Approfondir

Les références bibliographiques sur cette période sont très nombreuses. La bibliographie proposée résulte de choix pour permettre aux lecteurs d’approfondir leurs connaissances, d’accéder à des témoignages iconographiques et d’approcher la parole des artistes et des témoins de leur temps.


Sources

Lifar Serge, Le Manifeste du chorégraphe, Paris, Étoile, 1935, extrait repris dans Marcelle Michel et Isabelle Ginot, La Danse au XXème siècle, Paris, Bordas, 1995, p.44.

Maurice Béjart, Lettres à un jeune danseur, Paris, Actes sud, 2001.

Michel Robert, Maurice Béjart, une vie – derniers entretiens, Bruxelles, Editions Luc Pire, 2009.

Petit Roland, Rythme de vie, entretiens avec Jean-Pierre Pastori, coll. Paroles vives, ed. La Bibliothèque Des Arts, 2003.


Ouvrages monographiques

Amberg George, Ballet in America: The Emergence of an American Art, Amberg Press, 2007 (1923).

Christout Marie-Françoise et Lefèvre Brigitte, Serge Lifar à l’Opéra, Editions de la Martinière, 2006. 

Dominique Genevois, Mudra, 103 rue Bara. L’école de Maurice Béjart 1970-1988, Bruxelles, Contredanse, 2016.

Mannoni, Gérard, Roland Petit, coll. L'Avant-Scène ballet/danse, ed. L'Avant-Scène théâtre, 1984.

Pastori Jean-Pierre, 2. La danse : Des Ballets russes à l’avant-garde, Paris, découvertes Gallimard, n°332, 1997 (pour l’édition la plus récente).

Poudru Florence, Serge Lifar : la danse pour patrie, Hermann, 2007.

Poudru Florence, Dans le sillage des Ballets russes, 1929-1959, Pantin, CND, 2010.

Suquet Annie, L’éveil des modernités (1870-1945), Pantin, CND, 2012.

Gottlieb Robert, George Balanchine: The Ballet Maker, Ed. Harper Collins, 2004.

Vaill Amanda, Somewhere : The Life of Jerome Robbins, Broadway Books, 2008.


Catalogues d’exposition 

Zizi Jeanmaire, Roland Petit - un patrimoine pour la danse, (dir. Alexandre Fiette) (exposition, Genève, Musée Rath), somogy editions, 2007.


Open sources

Dossier « le style néoclassique, une maladie honteuse ? », in Journal de l’ADC, n°39, avril-juin 2006, pp.3-9 / https://archives.adc-geneve.ch/assets/files/journal%20de%20l'adc/JADC39.pdf 

Auteur

Docteur en Histoire de l’art, Céline Roux est chercheur indépendant. Spécialiste des pratiques performatives du champ chorégraphique français, elle est notamment l’autrice de Danse(s) performative(s) (L’Harmattan, 2007) et de Pratiques performatives / Corps critiques # 1-10 (2007-2016) (L’Harmattan, 2016). Conférencière, formatrice et enseignante, elle intervient dans différents cadres d’enseignement supérieur ainsi que dans la formation des danseurs. Elle collabore aussi aux projets artistiques de danseurs-chorégraphes contemporains que ce soit pour les archives d’artiste, la production de textes critiques et de projets éditoriaux, ou l'accompagnement dramaturgique. Elle a collaboré à plusieurs projets numériques de partage de la culture chorégraphique comme 30ansdanse.fr. Parallèlement à ses activités sur/pour/autour de l’art chorégraphique, elle pratique le hatha yoga en France et en Inde depuis plusieurs années.

Générique

Sélection des extraits
Céline Roux
 

Texte
Céline Roux
 

Production
Maison de la Danse

 

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