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Quand le réel s'invite

Maison de la danse 2014 - Réalisateur-rice : Plasson, Fabien

Chorégraphe(s) : Newson, Lloyd (Australia) Duboc, Odile (France) Proust, Cécile (France) Nyamza, Mamela (South Africa) Fattoumi, Héla (Tunisia) Lamoureux, Éric (France) Ganga Bouetoumoussa, Boris (Ganga Bouetoumoussa, Boris) Haleb, Christophe (France) Ouizguen, Bouchra (Morocco)

en fr
03:02

Dead dreams of monochrome men

Newson, Lloyd (United Kingdom)

25:52

Violences civiles

Duboc, Odile (France)

08:55

Final/ment/seule

Proust, Cécile (France)

02:13

The Spectator's moment (2013): Mamela Nyamza

Nyamza, Mamela (France)

11:18

Madame Plaza

Ouizguen, Bouchra (Morocco)

14:00

Chantier autorisé au public

Ganga Bouetoumoussa, Boris (Chantier autorisé au public)

13:40

Dé-camper

Haleb, Christophe (France)

Quand le réel s'invite

Maison de la danse 2014 - Réalisateur-rice : Plasson, Fabien

Chorégraphe(s) : Newson, Lloyd (Australia) Duboc, Odile (France) Proust, Cécile (France) Nyamza, Mamela (South Africa) Fattoumi, Héla (Tunisia) Lamoureux, Éric (France) Ganga Bouetoumoussa, Boris (Ganga Bouetoumoussa, Boris) Haleb, Christophe (France) Ouizguen, Bouchra (Morocco)

Auteur : Centre National de la danse

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Découvrir

  

Toute œuvre d’art entretient des rapports complexes avec le monde et l’époque dans laquelle elle est produite. Sur ce plan, la danse contemporaine s’inscrit dans la lignée de que l’on a nommé la « danse moderne ». Les œuvres questionnent, de façon plus ou moins explicite, le contexte dans lesquelles elles sont élaborées. Les choix esthétiques de chaque chorégraphe révèlent aussi comment il conçoit (ou représente) le statut de l’artiste dans une société donnée. 

Comment les œuvres témoignent-elles du monde ? L’artiste contemporain est-il lui-même le produit d’une époque, d’un milieu, d’une culture ? Quels sont les différents modes de relations entre l’artiste, l’œuvre, le réel et le monde ?

Comme le montre ce Parcours, certaines œuvres s’appuient directement sur une thématique politique et sociale et nombre de chorégraphes sont sensibles à ce qui les environne et assument la responsabilité d’en témoigner. A l’occasion, ils revisitent l’histoire.

En écho à des questions qui traversent la société civile, les artistes cherchent aussi comment le corps et le mouvement peuvent renvoyer à des manières d’être et de faire dans une situation donnée. Depuis plusieurs années, de nombreuses créations traitent de la question du genre, ou croisent celle des signes religieux. Là, les chorégraphes endossent directement une prise de position critique envers le contexte.

Mais, à l’inverse, on trouve aussi des démarches où les chorégraphes travaillent sur la circulation entre la création artistique et le réel. Ici encore, les approches sont plurielles et répondent à des enjeux divers. Pour certains, il s’agit d’altérer le réel en y introduisant des propositions artistiques qui modifient la perception que l’on en a. D’autres propositions dans l’espace public – telles celles de Christophe Haleb – placent la danse dans la cité, souvent de manière impromptue et sans que les passants en soient toujours avertis.

Description

1. S’inspirer ou témoigner du réel

Dead dreams of monochrome men

L’homosexualité a longtemps été traitée de façon indirecte dans la création chorégraphique. Mais l’apparition du virus du sida change la donne. Plusieurs chorégraphes décèdent du sida, par exemple Hideyuki Yano en 1988, ou encore Dominique Bagouet en 1992, et d’autres chorégraphes prennent la maladie en compte dans leur démarche artistique. Ils le font d’autant plus que le corps est le passeur de la danse et que la maladie exacerbe les relations entre plaisir et souffrance. 

L’Américain Bill T. Jones, dont le compagnon Arnie Zane est lui aussi mort du sida en 1988, crée Still Here en 1993 à partir de ces questionnements : Qu’est-ce que c’est que de vivre avec une maladie mortelle ? Dans Good Boy (1998), Alain Buffard, quant à lui, travaille sur « un corps qui expose la saturation sociale et morale, un corps qui dit la vitalité et la maladie »[1].

De son côté, dans une approche perçue à l’époque de la création comme provocatrice, Lloyd Nelson prend certaines pratiques homosexuelles comme matière de la pièce Dead dreams of monochrome men. Dans cette création, il s’inspire aussi du tueur en série Dennis Nilsen qui assassinait des homosexuels à Londres au début des années 1980. Le chorégraphe place la danse dans un hangar qui évoque « une boîte de nuit gay sado-maso où quatre corps explorent les jeux du désir masculin, le théâtre de la violence sexuelle, de la domination et de la soumission volontaire »[2]. Il met en scène quatre danseurs de façon à la fois sensuelle et abrupte, exacerbant le regard du spectateur et questionnant aussi son éventuelle position de « voyeur »[3].


Violences civiles d’après Insurrection

Le 13 mai 1988, alors qu’elle prépare la création Insurrection, la chorégraphe Odile Duboc écrit : « Tout ordre institué porte en lui-même des germes de révolte. Il existe un phénomène qui bouscule miraculeusement la monotonie de notre quotidien en lui insufflant des bouffées de sensation si fortes qu’elles nous poussent à vouloir en inscrire les origines par quelque moyen que ce soit. »[4] 

Dans cette pièce, Insurrection, créée à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française, Odile Duboc s’appuie sur un questionnement politique, mais elle le travaille au niveau de la forme et non du « propos » directement identifiable. « La chorégraphe signe alors une pièce dont le questionnement politique doit s’entendre dans le corps même de sa composition. Rien d’illustratif, encore moins de narratif. Il s’agit d’explorer méthodiquement les forces qui entrent en jeu dans un mouvement de masse, et les logiques aptes à en permettre le débordement, par-delà les injonctions disciplinaires. »[5] Elle s’empare d’un référent historique et le traite à sa façon.

S’attachant aux rapports entre la personne et le groupe, comme elle le fera dans bien d’autres créations, Odile Duboc met en mouvement le corps singulier et le corps collectif. Dans la lignée d’un questionnement « classique » sur les rapports entre la société et l’individu, elle cherche comment les corps dansants peuvent s’organiser et s’immerge ainsi dans une problématique liée à au fonctionnement de la société.

Violences civiles est le film réalisé par Jacques Renard en 1990 à partir de la pièce Insurrection


Final/ment/seule

Final/ment/seule s’inscrit dans une série d’actions, de performances et de spectacles intitulée « Femmeuses », dans laquelle la danseuse et chorégraphe Cécile Proust cherche à « interroger la place des femmes dans l’art et nos sociétés, ainsi que le codage des corps et des genres ».

Dans cette « femmeusesaction#19 » présentée en 2008 au Centre national de la danse, elle recycle des témoignages, textes et images d’archives collectés au cours de ses recherches mais aussi – sous forme de vidéos – certaines de ses propres performances. L’artiste revisite ainsi les écrits théoriques et les prises de paroles militantes issus des mouvements féministe et « queer », tout en y insufflant avec humour – depuis sa position de femme et de danseuse – sa propre réflexion sur les notions complexes d’identité sexuelle et de genre.

Avec ce spectacle à la fois « dansé » et « parlé », « entre l’autoportrait et le pamphlet », Cécile Proust propose un « manifeste intime [qui] est aussi le porte-parole d’autres voix ». Par cette proposition artistique truffée de repères et de références, croisant création et théorie, rire et réflexion, elle conduit le public à s’emparer de questionnements à l’œuvre dans la société actuelle tout en le laissant libre de formuler ses réponses.


Minute du spectateur – Mamela Nyamza

L’engagement personnel d’un chorégraphe en fonction de la société dans laquelle il vit est parfois le moteur de sa création artistique. Comme le souligne Dominique Hervieu dans la « Minute du spectateur » consacrée à la chorégraphe et performeuse Mamela Nyamza, certains artistes sont « des artistes-activistes qui n’hésitent pas à se servir de leur art pour dénoncer ce qui les révolte ».

Pour Mamela Nyamza, il est crucial de pointer toutes les formes d’inégalités et de violences dans la société contemporaine sud-africaine. Elle se questionne sur la place de la femme dans la société et aussi sur la problématique de la ségrégation raciale. La chorégraphe est noire, née en 1976, et marquée par cette première impossibilité : être d’emblée l’égale des blancs. Lorsqu’une chorégraphe comme Robyn Orlin s’empare de la problématique de l’apartheid, elle est concernée par ricochet – elle est une blanche qui s’indigne du sort fait aux noirs. Quand Nyamza s’empare de la même problématique, elle se réfère à ses propres blessures. Son approche correspond à une autre nécessité et débouche sur une réponse artistique sensiblement différente. Il s’agit pour elle de lier un positionnement artistique à une position sociale initiale et de faire de l’artiste un perturbateur de l’ordre établi.


Manta

Les chorégraphes contemporains s’emparent quelquefois de sujets de société complexes, tel le port du voile. Créé par les chorégraphes Hela Fattoumi et Éric Lamoureux, le spectacle Manta « livre un point de vue sur une question des plus brûlantes qui traverse la société française d'aujourd'hui, celui du port du voile islamique »[6]. Dans un moment où se pose la question de légiférer sur le port du voile, Héla Fattoumi, née à Tunis en 1965, souhaite incorporer ce que représente le voile pour une femme d’aujourd’hui. 

Comme le constate le critique Gérard Mayen : « Pour Héla Fattoumi sur un plateau, et ses spectateurs dans la salle, la pièce Manta constitue une expérience d'une grande rareté. Le plus souvent, on considère qu'un costume est d'importance seconde, venant rajouter quelques signes à l'action principale qui est évidemment celle des artistes sur le plateau. Dans Manta, une danseuse (Héla Fattoumi) endosse le voile intégral, et ce "costume" mue en interlocuteur principal de l'action. »[7]

La mise en jeu, par des artistes, d’une telle question relève de la façon dont ils conçoivent leur fonction dans une société donnée, mais aussi de la façon dont le spectateur s’approprie la proposition artistique qui lui est faite.


Madame Plaza – Interview autour de Ha

Comment endosser la dimension contemporaine dans des pays qui ne la privilégient pas ? Dans Madame Plaza (2009), la chorégraphe marocaine Bouchra Ouizguen questionne cette notion de contemporain en travaillant avec des femmes âgées de quarante-cinq à soixante ans qui semblent bien loin de la danse contemporaine. Leurs voix accompagnent notamment les mariages, elles sont les Aïta, des chanteuses de cabaret. 

La chorégraphe veut se distinguer de la danse contemporaine comme du folklore, même si elle associe la danse de sa jeunesse, notamment la danse orientale qu’elle a longuement pratiquée, à sa formation auprès de Bernardo Montet, Mathilde Monnier et Boris Charmatz. Mais elle souhaite trouver une forme de danse qui ne relève pas de ces catégories, pensant qu’il est possible de trouver une forme et un style personnels n’appartenant pas aux registres habituels.

Pour créer, elle rassemble et met en écho différents savoir-faire. Elle s’attache au « presque rien » qui est commun à chacune de ses interprètes, et sans doute à celui de chacun des spectateurs. Convier des femmes qui ne sont pas des artistes dans un processus de création chorégraphique contemporaine équivaut à replacer un réel, non qualifié d’artistique, dans un autre réel, qui est, lui, reconnu comme tel. La chorégraphe continue d’ailleurs à participer à de nombreuses performances in situ à Marrakech (cabarets, boites de nuit, chantiers, salons…). 


2. Intervenir dans le réel

Chantier autorisé au public

Il y a les festivals, les coproductions, les réseaux artistiques, etc. Et parfois, il n’y rien de tout cela. Les chorégraphes inventent alors d’autres modes de production, d’action et de création. Ils s’invitent dans le réel, mais surtout ils interviennent dans le réel.

« Construire, détruire, l'Afrique est un vaste chantier. Reconstruire, déconstruire, imaginer des territoires communs. Marcher, sauter, faire du mouvement ce qui nous relie et non ce qui nous sépare. Couché, à genoux, debout, expérimenter et réinventer l'espace public… Ce film a été conçu autour du travail de recherche chorégraphique pour la création Port du Casque Obligatoire de Boris Ganga Bouetoumoussa. »[8]

Le réel devient ici le lieu où la danse ne s’impose pas, mais insiste ; où la danse ne dit rien, mais relaie le quotidien ; où elle passe outre les relais, mais crée de véritables liens ; où elle ne ressemble à rien, mais libère. « Être là sans être là » revendique le film. Telle pourrait être la volition de la danse, son intention en tant qu’action pouvant induire un changement. Pour le Congolais Boris Ganga, il importe que la danse en chantier gagne un vrai public. Dans un renversement des termes, il importe que le public soit accepté sur le chantier.


Dé-camper

Dans Dé-camper, création in situ de 2006, le chorégraphe Christophe Haleb poursuit son questionnement sur l'usage des lieux et de l'espace et sur les modes de consommation. Il propose à ses danseurs d’investir – avec l’accord du magasin – quatre vitrines du Printemps Haussmann à Paris, les transformant selon ses mots en « vitrines vivantes » sur le thème du « camping-glamour ».

L’artiste modifie ainsi le rapport entre fiction et réel, entre voir et être vu, les danseurs exposant aux passants et touristes (certains tout à fait indifférents) « un style de vie en plein air », simulacre de vacances. Ce faisant, à travers les modes d’expression habituels de ses interprètes, entre danse, musique et jeu théâtral, Christophe Haleb interroge les dispositifs d’exposition des corps et les stratégies publicitaires qui – sous couvert de favoriser notre évasion – domestiquent parfois notre imaginaire et nos représentations.

    


[1] Alain Buffard, texte de présentation de Good Boy - www.alainbuffard.eu


[2] Présentation du film Dead dreams of monochrome men  - www.centrepompidou.fr


[3] Le titre de la compagnie DV8 renvoie notamment au mot anglais deviate qui signifie « pervers» ; or le voyeurisme est potentiellement un comportement pervers, selon certaines normes morales.


[4] Odile Duboc, Les mots de la matière, Les solitaires intempestifs, Besançon, 2012, p. 73.


[5] Archives du CNDC d’Angers - www.cndc.fr


[6] Présentation de Manta - www.odianormandie.com


[7] Présentation de Manta par Gérard Mayen - www.numeridanse.tv/fr


[8] Présentation de Chantier autorisé au public - www.africultures.com

Auteur

Le Centre national de la danse (CN D) est un centre d’art pour la danse. C’est une institution dépendant du ministère de la Culture et de la Communication français et dévolu à la danse sous tous ses aspects : la promotion de spectacles et de chorégraphes, la diffusion de la culture chorégraphique, la création artistique, et la pédagogie.

Générique

Sélection des extraits
  Centre national de la danse
 

Textes

Centre national de la danse
 

Production
  Maison de la Danse
 

Le Parcours « Quand le réel s'invite » a pu voir le jour grâce au soutien du Secrétariat général du Ministère de la Culture et de la Communication - Service de la Coordination des politiques Culturelles et de l'Innovation (SCPCI) 

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