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Héla Fattoumi et Éric Lamoureux, chorégraphes et directeurs de VIADANSE, Centre chorégraphique national de Bourgogne-Franche-Comté à Belfort, ont toujours placé la question du genre au cœur de leur cheminement artistique, nourri par la volonté de déconstruire les rouages de la domination.  

Cette exposition s’appuie sur l’ouvrage La Part des femmes (Nouvelles Éditions Place, 2021), né de la rencontre, en 2012, entre Anne Pellus (maître de conférences à l’Université de Toulouse 2 Jean-Jaurès) et les chorégraphes.  

Elle invite à poser le regard sur cinq pièces emblématiques de Héla Fattoumi et Éric Lamoureux, créées entre 1998 et 2018 : Wasla-solo et Bnett Wasla, Manta, Lost in Burqa, Masculines. Les photographies sont signées Laurent Philippe et Maitetxu Etcheverria.

Le parcours du tandem Héla Fattoumi et Éric Lamoureux prend sa source dans la dualité et l'altérité qui se traduisent à travers le dialogue permanent entre deux regards, deux imaginaires singuliers, incarnés par deux individualités d'origines, de culture et de genres différents.

Leur esthétique est ainsi politiquement située dans cette logique de l’échange, de l’accueil de l’autre, dans une volonté de faire relations. Les liens entre les Nords et les Suds, ainsi que la visibilité des corps concernés y occupent une place essentielle. 

Ils refusent qu’il n’y ait qu’une seule manière d’être femme. Si le féminin se construit, il est en mouvement et c’est dans cette évolution-là qu’il se démultiplie dans ses incarnations et estompe l’empreinte biologique des corps.

La part des femmes, une traversée chorégraphique

Créée spécialement pour Chaillot Théâtre National de la Danse, cette performance résonne comme un écho à l’ouvrage La part des femmes d’Anne Pellus.

La part des femmes, une traversée chorégraphique

Alliant le geste, le récit et la vidéo, cette performance dansée propose un format hybride entre « re-visitations » chorégraphiques, images d’archives et le récit-témoignage de Héla Fattoumi entouré de deux interprètes : Meriem Bouajaja et Chourouk El Mahati.

Wasla-solo et Bnett Wasla

Au commencement était Wasla-solo, que j’aime à traduire par « le solo qui relie ». Il est pour moi une sorte de retour au pays natal par la danse. 

Le projet était simple : traverser quotidiennement la vielle ville, la médina de Tunis (...). Dans le Palais de Halfaouine, on nous a emmenés dans la salle de danse avec ses barres, ses miroirs. Mais moi, j’étais attirée par la salle des alcôves. Particulièrement l’une d’elles, dans laquelle je me suis immédiatement lovée… J’ai ouvert les bras… Incroyable, elle était parfaitement à ma mesure, on aurait dit qu’elle m’attendait.

C’est l’alcôve qui a tout déclenché, la construction de la pièce autour des multiples tentatives d’émancipations. Elle était devenue un nid douillet, une cage dorée, une sorte de ventre de la mère. - Héla Fattoumi

Bnett Wasla est une ré-écriture à partir de Wasla-solo. La pièce a été recréée avec quatre danseuses du Pôle Ballet et Arts chorégraphiques de la Cité de la Culture de Tunis.

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Le solo devient un quatuor à travers cette transmission, signifiant aussi le passage de l’intime au collectif. Reprenant l'alcôve amplifiée de Wasla-solo, Bnett Wasla est le récit d’une émancipation où les corps féminins d’abord liés à l’espace matriciel, têtes rivées aux parois de pierre, s’échappent et gagnent au fur et à mesure en amplitude.

Les quatre danseuses du ballet de l’Opéra de Tunis m’ont donné envie de me lancer dans cette aventure de transmission, j’ai senti que c’était le moment et que ce serait avec elles. J’ai adoré nos échanges, je leur racontais les enjeux du Wasla de mon époque et elles me parlaient de leur engagement de femmes, d’artistes, de danseuses dans un pays musulman post–révolutionnaire.

Bnett Wasla, qui veut dire littéralement « les filles de Wasla », est devenue une sorte de manifeste féministe porté par ces formidables interprètes que sont Nour, Oumaima, Houda et Cyrinne - Héla Fattoumi

Manta et Lost in burqa

Manta est une pièce dansée seule en scène par Héla Fattoumi portant le niqab, voile intégral. Ce vêtement, qui renvoie à de nombreuses polémiques, est un moteur de création pour les deux chorégraphes. Danser avec un voile, en agiter le drapé, découvrir sa résistance, sa transparence, c’est faire naître des images puissantes qui frappent notre imaginaire.

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Née en Tunisie, Héla Fattoumi a vu les femmes de son enfance quitter progressivement le safsari, voile blanc et élégant lié davantage à une tradition qu’à la religion. Cette importation du voile intégral et les revendications religieuses et politiques qui lui sont associées la questionnent.  

Manta est une œuvre à la lisière de la performance. C’est en son nom et en son corps de danseuse que Héla Fattoumi explore sa relation au voile et prend ainsi position.  

Le choc initial, ça a été en 2006, en Syrie, nous étions en tournée… je me rappelle précisément, dans la ville d’Alep, de cette rencontre fortuite.

Je me suis retrouvée face à une silhouette en noir sans visage. C’était une femme qui tenait un petit garçon par la main, une main gantée.

Il ne reste que le regard, seule ouverture vers le dehors qui laisse entrer au-dedans vers l’infime et l’intime.

Je me souviens des sensations, dans le studio de répétition, me glisser à l’intérieur du tissu, éprouver son poids sur la tête, sur les épaules, j’esquissais des gestes, je m’aventurais dans des postures, et j’entrais dans un temps sans mesure, une tension infinie, une expérience en apnée. - Héla Fattoumi

Deux ans plus tard, Lost in Burqa nait de la rencontre de Héla Fattoumi et Éric Lamoureux avec la plasticienne marocaine, Majida Khattari, qui s’est illustrée avec ses défilés performances mettant en scène des « vêtements-sculptures » inspirés des burqas, niqabs et autres safsaris. À travers ces œuvres, elle dénonce l’enfermement du corps et questionne la situation complexe et ambiguë de la femme dans l’Islam contemporain.

Cette pièce réunit une distribution mixte. Les huit interprètes s’approprient ces sculptures de tissus mouvants, guidé·e·s par le potentiel imaginaire de chacune d’entre elles, dans une danse inquiétante et surprenante. Lost in Burqa interroge les effets symboliques et fantasmatiques du hijab : ce vêtement parfois imposé, dont la nature première serait « de soustraire à la vue ou d’isoler un corps ou un objet ». 

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Après Manta, nous avons proposé à d’autres interprètes de partager cette expérience de l’invisibilité, de la disparition du corps sous un voile, cette expérience physique du tissu, de son poids, de la lenteur qu’il impose. Habiter et faire vivre ces burqas dans leurs grandes diversités de par leur textures, leurs formes, leurs matières et leurs longueurs afin de faire surgir des images, aux tonalités subversives des images qui ouvrent l’imaginaire. -Héla Fattoumi

Masculines

Sept danseuses en quête d’émancipation performent la féminité : langoureuses du Bain turc d’Ingres, silencieuses Mauresques des cartes postales orientalistes, poupées avec extensions de cheveux, d’ongles et rehaussées de chaussures à talons hauts...  

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La scène est ici un champ de bataille où s’incarnent les clichés. Elle les fait vaciller et déconstruit des normes que le patriarcat nous invite à considérer comme innées et essentielles à nos identités, et que chaque personne a eu l’occasion non seulement d’intérioriser mais encore d’incorporer.

Puissantes et rebelles, elles toisent et déglinguent les clichés vers une liberté de corps sans mesure.

Le bain turc de Ingres n’a plus de contour, il n’y a plus ni masculin, ni féminin, il n’y a qu’une énergie vitale et collective. - Héla Fattoumi

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Cette sélection d’images est tirée de l’ouvrage La Part des femmes publié aux Nouvelles Éditions Place (2021).

Anne Pellus (Maîtresse de conférences à l’Université de Toulouse 2 Jean-Jaurès) y dévoile comment, à travers les corps dansants, chaque œuvre fait écho à notre monde et à notre histoire. Elle s’appuie sur cinq pièces de Héla Fattoumi et Éric Lamoureux, qu’elle a rencontrés en 2012, et dont elle a suivi le travail depuis.

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