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La ronde

2018 - Réalisateur-rice : Plasson, Fabien

Chorégraphe(s) : Nijinsky, Vaslav (Russian Federation) Rizzo, Christian (France) Pécour, Louis-Guillaume (France)

en fr
02:58

Songs and dances of Aka pygmys

Songs and dances of Aka pygmys (Songs and dances of Aka pygmys)

03:16

[R]Evolutions

[R]Evolutions (France)

01:42

Entrée d’Apollon

Pécour, Louis-Guillaume (France)

Maison de la danse 1988 - Réalisateur-rice : Picq, Charles

Chorégraphe(s) : Pécour, Louis-Guillaume (France)

Producteur vidéo : Maison de la Danse

Vidéo intégrale disponible à la Maison de la danse de Lyon

Découvrir l'œuvre dans la vidéothèque
03:04

The Rite of Spring

Nijinsky, Vaslav (Monaco)

03:06

d'après une histoire vraie

Rizzo, Christian (France)

La ronde

2018 - Réalisateur-rice : Plasson, Fabien

Chorégraphe(s) : Nijinsky, Vaslav (Russian Federation) Rizzo, Christian (France) Pécour, Louis-Guillaume (France)

Auteur : Olivier Lefebvre

en fr

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La ronde est une figure a part entière de la danse depuis la nuit des temps. De nombreuses peintures découvertes sur les parois des grottes des périodes paléolithique (à l’époque ou les hommes ne sont encore que des chasseurs cueilleurs) ou néolithique (vers 7 000 avant J-C, au moment où les communautés se sédentarisent pour se consacrer à l’élevage et à l’agriculture) l’attestent : les hommes font cercle, dansent en rond les uns autour des autres ou tournoient sur eux-mêmes. Dans ces rassemblements, c’est la question du centre qui est posée. Il peut être matérialisé par des musiciens, par un totem, par un feu… Ou par un vide à combler.

Une chose est sûre : cette danse est centripète et non pas centrifuge. En regardant vers le centre, elle s’adresse au point de convergence qui soude la communauté. Le plaisir ou l’extase qui en résultent sont une expérience élémentaire que tous les participants ressentent dans leur propre chair. Son mode de transmission repose sur le fait social, les réflexes corporels et un modèle de mouvement qui libère la mémoire consciente du groupe. Ce que Nietzche appelle « la grande raison du corps » est à l’œuvre dans ces danses conçues comme un moyen d’accéder à une unité dans des temps antérieurs à la culture de l’écrit, de la structuration et de l’individuation en marche au sein de nos sociétés modernes.

Doit-on alors parler d’archaïsme dans cette culture du « pas encore » où le sujet, cher à la pensée occidentale à compter du XVIIème siècle, n’est pas convoqué ? La ronde est souvent associée dans nos esprits aux danses « traditionnelles » ou aux danses « folkloriques ». A-t-elle sa place dans l’art chorégraphique des XXème et XXIème siècles qualifiés de contemporains et de performatifs ? En d’autres termes, est-elle bien encore une figure fondamentale de la danse au présent ?

Description


La ronde comme expression d’un groupe en train de se décrire


La ronde est un ensemble qui ne relève pas d’un art et qui ne désigne pas un artiste. Pratiquée par tous, elle fait souvent partie de la vie quotidienne et intervient jusque dans le travail de la communauté, comme en Bretagne où, par exemple, elle est utilisée pour l’aire à battre ou pour la confection du sol en terre d’une maison, chacun tassant l’argile fraîche du pied en rythme avec les autres. Dans ces moments, les participants ne la perçoivent pas comme une danse, pas plus que lorsque la communauté se réunit pour conjurer le sort (danse de pluie), pour donner du courage (danse de guerre), ou pour plaire aux dieux, comme chez les égyptiens, les grecs ou les romains. Elle est la résultante d’une vie sociale à laquelle personne n’échappe.


La danse occupe cette même fonction indissociable des événements socioculturels de la communauté chez les pygmées Aka. Elle accompagne l’inauguration des nouveaux campements, les grandes chasses ou les funérailles, et assure un rôle essentiel pour la cohésion du groupe. Elle se hiérarchise selon les liens sociaux établis en son sein, et ce sont les « grandes dames », en charge de la survie de la communauté, qui font leur entrée en premier. Les hommes suivent, les maîtres danseurs initiés d’abord, et tous circulent autour des musiciens. Les figures chorégraphiques ont le plus souvent trait à la chasse, les pas de danse imitant la progression du groupe en forêt. De temps en temps, un soliste se détache pour un pas spécifique.


Cette structuration élémentaire et archaïque, au sens où le mot réfère à l’ancienneté du processus de développement, se retrouve aussi bien dans les pratiques Pow-Wow amérindiennes que dans celles des Bataks de Sumatra ou des shakers nord-américains. Elle est mue par ce que Nietzche perçoit comme un repère transcendant unique qui permet à une société de se décrire elle-même.


La geste est avant tout celle du chasseur, du paysan, du guerrier, pas celle du danseur. La notion d’esthétique n’est que très peu convoquée, un bon interprète étant essentiellement un interprète endurant qui met son énergie au service de la structuration de la vie sociale. Sa raison d’agir n’est pas définie par un regard extérieur mais par ce que lui-même éprouve.


La ronde est à la fois expression des sens et de la volonté : le plaisir ou l’extase de chacun sont soumis à la volonté du groupe tout entier. La danse devient alors le moyen d’accéder au mouvement collectif par la perception qu’on en a et l’action qu’on exerce en son sein.

C’est cette mécanique qui est à l’œuvre dans le Rond de Saint-Vincent, popularisé dans les années 90 avec le développement des festnoz. Dans la région de Plouvorn, par exemple, le moment où tous se réunissent pour tasser l’aire à battre a longtemps été considéré par les villageois comme la seule occasion qui leur était donnée de danser. Le Rond de Saint-Vincent, pratiqué désormais bien au-delà des limites de la Bretagne, reprend les pas des paysans, leur piétinement tout particulièrement, et ce constant jeu de va et vient entre pied droit et pied gauche.



La ronde sacrifiée sur l’autel des ordonnateurs


On le voit, la ronde occupe une double fonction au sein de la communauté : sociale et rituelle, toutes deux apparemment indissociables. Il faut cependant les distinguer dans la mesure où le rite, lui, relève de la représentation figurée d’un dogme, le plus souvent magique ou religieux.

Le rite prescrit un certain nombre de comportements à l’égard du sacré. L’une de ses formes les plus archaïques est celle du sacrifice qui introduit au sein de la communauté des hommes un officiant. Son rôle consiste à tenir les dieux à distance en leur faisant des offrandes, et à s’assurer qu’une séparation est bien établie entre le monde surnaturel et le monde des humains. Pour cela, il lui faut trancher, couper en deux, rompre l’unité. Le rite sacrificiel « sacrifie » donc la conjonction, l’être ensemble, au profit de la disjonction, de l’éclatement et de la dispersion qui passe souvent par l’éparpillement des offrandes, vivantes ou inanimées. Le pouvoir de l’officiant se donne à voir auprès des dieux, auprès des hommes tout autant. Le cercle est brisé, la ronde vole en éclat.


Comment pourrait-il en aller autrement dès lors qu’une société substitue une façon de faire, dans laquelle tous les participants sont à leur manière des officiants, à une manière d’être placée sous la conduite d’un maitre de cérémonie dont la fonction est censée être représentative d’une destinée pour toute une communauté ?


Qu’advient-il de la ronde lorsque la pulsion vitale et collective cède sous la pression de l’esprit qui prétend la représenter ? Le rite sacrificiel apporte un élément de réponse, il n’est pas le seul. Entre 1350 et 1450, l’Europe perd la moitié de sa population. Les coupables ? La peste et la Guerre de Cent Ans. On ne danse plus en rond mais enchaînés les uns aux autres dans une course vers la mort emmenée par les puissants, les bourgeois et le peuple à leur suite. Cette course, qui s’ouvre sur un au-delà, ne se contente pas de hiérarchiser les interprètes. Elle donne à voir une tête et une queue de cortège qui s’offre en exemple à la contemplation des non danseurs

La danse primitive, originelle et nécessaire au groupe, s’organise désormais en fonction du regard que le public porte sur elle et s’oriente vers une narration.


Un thème, un ou des ordonnateurs, des interprètes, un public : les ingrédients de la danse macabre contiennent en germe ceux du Ballet de Cour qui voit sa forme s’épanouir sous le règne de Louis XIV. Il y est avant tout question de structuration et d’harmonisation des passions. Bien plus que l’expression d’un goût, la danse est pour le jeune Louis l’une des manifestations de son état de roi. Après la création de l’Académie de Danse en 1661 (première de toutes les académies à avoir été fondée), il est impossible de distinguer chez Louis XIV ce qui est une simple projection de sa personne (le roi danse) de ce qui relève de son état de monarque. Comme on le voit dans l’Entrée d’Apollon, le Prince fait plus que danser, il se donne à voir et s’expose de manière frontale à une assemblée sur laquelle il entend bien rayonner. Que le Roi Soleil ait choisi pour l’une de ses apparitions l’ordre apollinien au détriment de la pulsion vitale dionysiaque n’est pas le fruit du hasard. L’art de la danse passe par l’organisation des pas, la hiérarchisation des ensembles, la composition des variations selon une logique de corps de ballet avec ses interprètes solistes, ses sujets, petits sujets… C’est tout une communauté de la danse qui se trouve mise à mal. L’art chorégraphique devient une affaire d’état et de la représentation qu’on souhaite en donner. Le ballet de cour cesse de se donner au centre des salles pour venir s’installer sur la scène à l’italienne et coupe ainsi définitivement les ponts avec la forme du bal qui, elle seule, conserve sa fonction ludique et sa qualité rituelle.



La ronde revisitée à l’heure des désordres contemporains


Il faut attendre l’avènement des Ballets Russes, au tout début du XXème siècle, et, tout particulièrement, la création du Sacre du Printemps en 1913, pour que le sens cultuel et communautaire de la danse ressurgisse. Dans ce rituel chorégraphique, Vaslav Nijinsky impose un ordre et une loi inédits dans la mesure où il n’est plus question d’organiser le corps de ballet selon la logique que nous venons de définir plus tôt, mais d’accomplir collectivement un rite en public. Il s’agit pourtant bien d’une représentation donnée à voir à une assemblée de spectateurs de manière frontale.

Si Le Sacre est unique, c’est bien avant tout parce qu’il met en scène une organisation communautaire dont le cercle et la ronde sont les fondements (la conjonction), en même temps qu’il s’empare des codes du rite sacrificiel, de la disjonction, de l’éclatement, en les faisant jouer face à une audience. La quadrature du cercle, en quelque sorte.


Le génie de Vaslav Nijinsky tient au fait qu’il nous donne à voir une œuvre autistique. La danse se développe en permanence autour d’un centre moteur et se soucie peu ou pas de l’en dehors, tant pour ce qui est des postures corporelles (pieds en dedans, tête penchée sur le côté, les corps sont courbés à partir du bassin) que pour ce qui relève de l’espace dans l’ensemble de la salle de spectacle, comme si ce qui est en jeu sur scène n’avait pas vraiment pour fonction de se donner à voir. Dans la note d’intention présentée lors de la création, le 29 mai 1913, on peut lire qu’il est question d’une communauté vivant « au milieu de nous comme au milieu d’une steppe ».


Pour autant, on est confrontés à une œuvre du débordement incarnée par la danse de l’Elue dans le dernier tableau (celui du Sacrifice) qui reprend et condense l’ensemble des gestes de la communauté pour les disperser dans l’espace jusqu’à épuisement vers un extérieur qui est à construire. Sa gestuelle est celle de la désarticulation, de la rupture. Elle fait imploser la ronde une fois pour toutes et ouvre sur un monde sans contours.

Quatre-vingt ans plus tard, on retrouve cette même ronde mise à mal dans l’exubérant Impressing the Czar du chorégraphe américain William Forsythe. Le quatrième et dernier tableau, intitulé Bongo Bongo Nageela, tient lui aussi du débordement, comme si le cercle parfait du groupe constitué menaçait d’exploser à tout instant, habité par la gestuelle de tous les excès (ces images sont consultables sur Youtube : http://bit.ly/1Mb9Cg9).


 William Forsythe a souvent tenu à rappeler qu’il vivait à l’heure de l’accélération et de l’arme atomique, l’arme de la dislocation par excellence. Nijinsky lui-même a voulu « danser la guerre » lors d’un gala privé qu’il a donné en Suisse en 1919, comme s’il renvoyait a posteriori aux images prémonitoires d’éclatement qui hantaient le Sacre du Printemps en 1913.

La question de l’éclatement est sans nul doute une question centrale dans l’art de la représentation aux XXème et XXIème siècles. La ronde est avant tout la figure des structures autonomes qui n’envisagent pas le rapport à l’extérieur et dans lesquelles les problématiques de la confrontation et de la friction ne sont pas posées. L’époque contemporaine étant avant tout celle des échanges, du télescopage, de l’interconnexion permanente et du rejet ou du repli qui en sont les éléments réactionnaires, au sens propre du terme, la ronde est assez peu en capacité de la représenter ou, si ça doit être le cas, c’est pour être mise à mal.


Une exception dans le tableau, peut-être : la pièce de Christian Rizzo, D’Après une Histoire Vraie, dans laquelle il est également question de télescopage, de ronde tout autant, mais de sa mise à mal à aucun moment. C'est bien elle, son souvenir qui est convoqué dans cette chorégraphie dont les fondements ne sont pas sans rappeler ceux qui ont présidé à la création du Sacre du Printemps de Nijinski. Il s'agit ici aussi d'accomplir collectivement un rite en public mais, à la différence du Sacre, aucun officient, aucune élue ne viendront troubler l'explosion communautaire à l'œuvre sur le plateau. Du début à la fin, huit hommes font corps pour danser ensemble quelque chose, une série d'états tirés d'une histoire vraie. Laquelle ? En 2004, Christian Rizzo assiste à un spectacle à Istanbul : un groupe d'homme surgit d'un coup sur la scène, interprète quelques figures folkloriques et disparaît quasiment aussitôt. L'image est fugace, elle envahit le chorégraphe et resurgit cinq ans plus tard dans son travail comme si cette danse qui ne demande aucune approbation, cette guirlande de pas, de bras noués les uns aux autres, disait le plaisir simple d'être ensemble. La ronde hante tout le spectacle, esquissée le plus souvent, défaite aussitôt car il ne s'agit pas pour Christian Rizzo d'exhumer les formes folkloriques pour les revitaliser mais d'imaginer de nouveaux gestes "premiers" sur fond de batteries rock & roll, des gestes qui, au-delà des cultures et des codes, nourrissent une nouvelle tradition contemporaine. Elle se donne à voir devant un public qui, saisi, ne demande qu'à y croire.

Approfondir

Ouvrages

BEAUSSANT, Philippe. Louis XIV Artiste. Paris : Payot, 1999. 287 p. (Portraits intimes).

GLON, Marie (dir.), LAUNAY, Isabelle (dir.). Histoires de gestes. Arles : Actes Sud, 2012. 304 p. (Textes de Théâtre).

ROUSIER, Claire (dir.). Danses et identités : de Bombay à Tokyo. Paris : Centre National de la Danse, 2009. 272 p. (Recherches).

ROUSIER, Claire (dir.). Etre ensemble: Figures de la communauté en danse depuis le XXe siècle. Paris : Centre National de la Danse, 2003. 384 p. (Recherches).


Catalogue d’exposition

KAHANE, Martine. Nijinsky, 1889-1950 : Exposition 2000-2001. Catalogue d’exposition (Paris, Musée d’Orsay, octobre 2000 - février 2001). Paris : Réunion des musées nationaux, 2000. 286 p.  

Auteur

Titulaire d'un "MA history of arts" de l'université de Bristol, agrégé d'anglais, Olivier Lefebvre est historien de la danse, conférencier et rédacteur. Il collabore, entre autres, au développement de la vidéothèque de danse en ligne Numeridanse.tv ainsi qu'au programme de conférences de l'Université Populaire en Normandie.

Générique

Sélection des extraits  

Olivier Lefebvre  


Textes et sélection de la bibliographie  

Olivier Lefebvre  


Production 

Maison de la Danse



Le Parcours "La ronde" a pu voir le jour grâce au soutien du Secrétariat général du Ministère de la Culture et de la Communication - Service de la Coordination des politiques Culturelles et de l'Innovation (SCPCI)  

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